Sidiki Dermé : sculpteur, fondeur maître de feu

Authentique et sans concession, Sidiki Dermé fait de ses racines, sa richesse et ses sources d’inspiration. Son histoire pourrait se dire comme un conte.

Il était une fois… venu du Mali, Alzuma Naïga un artisan qui s’installe à Ouagadougou dans le quartier de Gnoxin, du temps de l’empire Moaga, le puissant royaume de Mossis. Brillant cavalier et dresseur émérite il partage sa vie entre la forge et les chevaux. Recruté pour son savoir-faire il devint vite le bronzier officiel de la cour du roi, le Moro Naba, créant des bijoux fabuleux pour ses épouses et des parures pour ses montures.

Une légende était née. Des celles qui en Afrique se transmettent par les griots qui de quelques souvenirs font une épopée pour expliquer le pourquoi de la vie.

La tradition d’Alzuma Naïga lointain fondateur de la dynastie des Dermé persiste à Gnoxin dans le quartier des bijoutiers à Ouagadougou. La caste des bronziers existe toujours et dans leurs ateliers l’odeur du feu et de la cire se dispute à celle du charbon et des pileurs de banco.

C’est là que Sidiki Dermé a grandi, au milieu du bruit de la forge, parmi les chevaux. « Je me sens bien quand je suis à Ouaga, dit-il. Je retrouve la famille, les chevaux de mon frère dans la cour de ma maison. J’y retrouve des amis, des collègues avec qui j’ai grandi. On mange ensemble, on parle du pays, des anciens, de ma mère qui est une reine et de mon père qui était un sage. »

Sidiki Dermé, c’est d’abord une voix rauque et suave à la fois, une voix tonitruante et arrondie comme le sont les terres africaines matinées de bordelais ! C’est aussi un regard qui transperce, rieur et moqueur. C’est ensuite un corps solide, animal, séducteur, des pieds enracinés dans le sol pour mieux s’inspirer des ancêtres. Et enfin des mains larges, ouvertes, ciselées par le travail de la terre, du feu, de la matière et du bronze.

Contraste saisissant entre la quiétude de l’homme curieux de tout et la puissance du sculpteur maître bronzier qui apprivoise le feu sans jamais chercher à le dominer. « Le feu je ne l’affronte pas car il est direct, je lui laisse le passage. Je lui parle, lui dis qu’il est le plus fort. Il m’entend et comme ça il ne me brûle pas… A l’inverse l’eau, elle, prend le temps. On peut les approcher mais c’est eux qui te reconnaissent et t’intègrent comme la personne qu’ils cherchaient. »

Le regard du père

« Quand j’ai fait le travail avec mon père, je me suis dit, c’est la, c’est ce que je veux faire. » Auprès de son père Sidiki Dermé observe et travaille sans relâche pour apprendre les gestes et les secrets qui lui permettent de dompter la technique de la cire perdue et le bronze en fusion. « Je prends de l’argile et du crottin de cheval bien pilé, je moule une première couche puis une deuxième, je fais sécher ; je fais chauffer la cire au fond, ça fait une sorte de moule et enfin je fais couler le mélange de bronze ». C’est là au-milieu des flammes que ses sculptures prennent vie.

« Mes habits sont mes sculptures. »

Pièces uniques ou petites séries, où se côtoient hommes, femmes, animaux, inspirations oniriques ou figuratives, les sculptures de Sidiki Dermé dégagent une force irradiante de vie et d’amour. « Mon inspiration c’est quelque chose qui me dépasse. Mais je sais que si j’ai envie de toucher la cire, l’inspiration est en moi. Je pars de rien, de petites maquettes, ça me donne le chemin et à la fin j’arrive a quelque chose, à autre chose. »

C’est un vrai créateur au sens artistique inné. Il a le souci permanent de pousser ses limites et de nous faire partager cette sagesse venue d’Afrique. « Mes habits sont mes sculptures » dit-il. Et comment rester insensible à la beauté de son travail !

Innovation et transmission

Sidiki Dermé, Maître de feu a cette humilité de ceux qui savent enrichir leurs traditions de nouvelles rencontres et des mondes qu’ils découvrent. Il transmet un savoir et des techniques ancestrales mais son art sait innover par des alliages inédits et des patines aux couleurs imprévisibles, fruit d’un métissage qu’il revendique. L’homme a cette philosophie positive des plaisirs du quotidien. Son regard est lucide sur le monde qui change. Le créateur fier de son art et de ses traditions reste « libre et trouve le bonheur dans son travail ».

L’artiste sensible vous expliquera l’importance du corps, du regard et du toucher. A sa demande, le bronze tout à l’heure si froid, en un instant va se réchauffer. Laissez-vous guider par cette humanité qui va chercher la beauté au-delà des apparences et caressez une des sculptures à portée de votre main.

 

Christophe Ragué

2 pensées sur “Sidiki Dermé : sculpteur, fondeur maître de feu

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